ALCALOÏDE

Un alcaloïde dénomme de manière générique diverses molécules à bases azotées, le plus souvent hétérocycliques, très majoritairement d'origine végétale. En conséquence, les alcaloïdes peuvent se présenter sous forme de molécules organiques hétérocycliques azotées basiques. Associés à l'essor de l'industrie pharmaceutique, ils ont permis d'ouvrir le domaine des « médicaments chimiques » à partir de la fin du XIXe siècle.

À l'instar d'un grand nombre de produits naturels, tous les noms communs d'alcaloïdes portent une terminaison en « -ine », comme la nicotine, la caféine, l'atropine, l'ibogaïne, l'émétine, l'ergine ou la morphine. Habituellement en chimie biologique, les alcaloïdes sont des dérivés des acides aminés. On les trouve sous forme de mélanges complexes, souvent à base de plusieurs, voire de dizaines de molécules d'alcaloïdes différentes, avec leurs précurseurs, en tant que métabolites secondaires, principalement chez les végétaux, les champignons et quelques groupes animaux peu nombreux. Il existe un type d'alcaloïdes contenant deux atomes d'azote dans le noyau aromatique et qui n'est pas d'origine naturelle, c'est le groupe des pyrazoles.

Sous forme purifiée, ces molécules dévoilent très souvent une toxicité aiguë, ainsi qu'à plus faibles doses, une activité pharmacologique apaisante, non sans effets d'accoutumance ou une toxicité chronique à long terme. Mais les proportions infimes de caféine d'un café, de cocaïne d'une feuille sèche de coca, de nicotine du tabac mâché ou chiqué ont été acceptées dans diverses cultures humaines, souvent très anciennes : il est parfois difficile de préciser si c'est malgré ou en raison de leurs diverses actions psychotropes, psychoactives, stimulantes, dopantes, toniques, vomitives, calmantes, dormitives, et analgésiques.

En effet, les molécules d'alcaloïdes à l'état pur, les plus connues, sont souvent hautement toxiques comme la strychnine, l'aconitine, l'atropine, la cocaïne... mais certaines, du fait de leur action physiologique puissante, sont efficacement employées en dosage mesuré et contrôlé dans la médecine ou thérapeutique moderne. Il s'agit, par exemple, de propriétés analgésiques avec la morphine ou la codéine, dans le cadre de protocoles de sédation (anesthésie) souvent accompagnés d'hypnotiques, ou bien d'un usage comme agent antipaludéen (quinine, chloroquine) ou agent anticancéreux (vinblastine, vincristine), et même de la sédation aux opiacés avec l'ibogaïne.

Sorti des laboratoires chimiques entre 1819 et 1827, le mot alcaloïde indique à l'origine un « comportement chimique semblable à un alcali, c'est-à-dire à tout corps basique en milieu aqueux » au cours de l'opération d'extraction en milieu liquide de base forte, solubilisant le ou les solutés basiques dits alcaloïdes. Il a été employé au siècle suivant pour décrire n'importe quelle base de Lewis contenant un hétérocycle azoté ou improprement une fonction amine. À cause du doublet électronique non liant de l'azote, les alcaloïdes sont considérés comme des bases de Lewis.

Historique

Le terme 'alcaloïde', attesté en français en 1827, peut être décomposé par la racine alcali* signifiant "base ou à caractère alcalin ou basique" et le suffixe -oïde* signifiant, "semblable à, de même forme, de même comportement". Le suffixe d'origine gréco-romaine dérive du grec ε?δος "forme". La racine vient du latin médiéval alkali, emprunté lui-même à l'arabe al-qétiyi par sa forme commune al qate, al qaly ?????? "la soude", plante du genre Salsola dont on a extrait pendant longtemps un carbonate de sodium plus ou moins pur, dénommé "soude", à partir duquel on pouvait fabriquer de la soude caustique. Le terme al qali désignait aussi, à l'instar du mot soude en français à double emploi pour la plante salifère et la matière chimique soude, la cendre calcinée aux propriétés basiques.

La connaissance et l'usage des plantes à alcaloïdes, comme le pavot à opium ou l'aconit, sont très anciens, mais la connaissance de leurs substances actives ne date que du début du XIXe siècle. En 1803, Charles Derosne, pharmacien et industriel français, est le premier à isoler un alcali végétal en extrayant de l'opium un mélange de narcotine et de morphine, mais il attribue la nature alcaline de son extrait à des résidus de préparation. L'année suivante, en 1804, Armand Seguin rapporte avoir trouvé un procédé de préparation de la morphine, mais il ne publie ses résultats qu'en 1814. Enfin, en 1805 en Westphalie, un assistant en pharmacie, Friedrich Sertürner, reconnaît la nature alcaline du principe somnifère de l'opium. Une dizaine d'années plus tard, il le nommera morphium en référence à Morphée, divinité des rêves dans la Grèce antique. Passées inaperçues à l'époque, ces découvertes faites en France et en Allemagne ne sont reconnues qu'en 1817, avec la preuve apportée par Sertürner que la morphine réagit avec l'acide pour former un sel.

La rivalité franco-allemande continue à être féconde puisque, entre 1817 et 1820, deux pharmaciens français, Pelletier et Caventou, découvrent une impressionnante série de composés actifs : caféine, émétine (de l'ipéca), strychnine (de la noix vomique), quinine et cinchonine (de l'écorce de quinquina).

Le terme « alcaloïde » est créé en 1819 par un pharmacien de Halle, Wilhelm Meissner (de) (1792-1853).

L'élucidation des structures chimiques des alcaloïdes ne débute qu'en 1870 avec celle de la plus simple, la coniine, par Schiff, et certains ne révéleront leur structure qu'à la fin du XXe siècle, au long duquel Maurice-Marie Janot et ses élèves en auront isolé, analysé et synthétisé plus d’une centaine, établissant, en 1953, la structure de la corynanthéine, étape majeure dans le progrès de la chimie des alcaloïdes.

Détection des alcaloïdes

Les alcaloïdes ont la propriété de former des sels et d'avoir un goût amer.

La caractérisation de la présence d'alcaloïde peut se faire par précipitation à l'aide de :

De nombreuses autres méthodes comme la chromatographie sont également employées pour identifier et doser la molécule.

Extraction des alcaloïdes

Comme les alcaloïdes se trouvent le plus souvent sous forme de sels d’acides minéraux ou organiques, et parfois leur combinaison (dont les tanins en particulier), on pulvérise les plantes avec un alcalin. Leur mode d'extraction est très variable selon la nature de l'alcaloïde, mais on trouve typiquement deux schémas d'extraction : par un solvant apolaire en milieu alcalin ou par un solvant polaire en milieu acide (de Brönsted).

Solvant non polaire en milieu alcalin

  • La plante sèche est pulvérisée et humectée avec une solution aqueuse alcaline (chaux, l'ammoniaque NH4+OH-, soude pour déplacer les bases fortes)
  • Extraction avec un solvant organique non polaire
  • Le marc est éliminé
  • La solution organique (alcaloïdes, lipides, pigments) est conservée
  • On concentre par un chauffage doux, ou par un évaporateur rotatif
  • On effectue sur le concentré un épuisement par un acide dilué (généralement on utilise l’acide sulfurique 0.5 N), puis on procède à une extraction (liquide – liquide)
  • La solution aqueuse acide est alcalinisée
  • On procède à un nouvel épuisement par un solvant organique non miscible (éther, chloroforme, xylène)
  • On obtient une solution organique alcaloïde, qu’il faut alors concentrer par évaporation
  • On obtient alors un résidu d’alcaloïdes bruts

Alcool acide

  • La plante sèche est pulvérisée en présence d'alcool acide
  • On procède à une lixiviation
  • Le marc est rejeté
  • La solution extraite (alcaloïdes, amines, résines, pigments) est évaporée
  • Cette solution est reprise par un acide dilué (la solution aqueuse acide obtenue contient des sels d’alcaloïdes impurs)
  • La solution aqueuse acide est alors alcalinisée pour saponifier les sels d'alcaloïdes
  • On procède ensuite à l'épuisement par un solvant non miscible (éther, xylène, chloroforme)
  • On sépare la solution organique d’alcaloïdes
  • On évapore cette solution pour obtenir un résidu d’alcaloïdes bruts

On procède enfin aux réactions de précipitation des alcaloïdes pour vérification.

Classifications

On estime actuellement que plus de 8 000 composés naturels ont été identifiés comme alcaloïdes. Tous les ans, une centaine de nouvelles molécules seraient ajoutées par les scientifiques du monde entier. Afin de pouvoir mieux maîtriser cette grande liste, trois types de classification des alcaloïdes ont été proposées suivant :

  1. Leurs activités biologiques et écologiques ;
  2. Leurs structures chimiques ;
  3. Leurs voies de biosynthèse.

Classification structurale

Ils ont longtemps été catégorisés et nommés en fonction du végétal ou de l'animal dont ils étaient isolés.

À partir du XXIe siècle, ils sont catégorisés en fonction de leur structure chimique :

Classification biogénétique

Les alcaloïdes peuvent être classés en fonction de leur précurseur avant leur synthèse dans une voie biologique. On distingue alors trois grandes classes selon qu'ils possèdent ou non un acide aminé comme précurseur direct, et qu'ils comportent ou non un atome d'azote dans un hétérocycle.

 

Dérivé d'acide aminé

Hétérocycle azoté

Alcaloïdes vrais

oui

oui

Proto-alcaloïdes

oui

non

Pseudo-alcaloïdes

non

 
 

Les alcaloïdes vrais dérivent d'acides aminés et comportent un atome d'azote dans un système hétérocyclique. Ce sont des substances douées d'une grande activité biologique, même à faibles doses. Ils apparaissent dans les plantes, soit sous forme libre, soit sous forme d'un sel, soit comme N-oxide.

Les proto-alcaloïdes sont des amines simples, dont l'azote n'est pas inclus dans un hétérocycle. Ils dérivent aussi d'acides aminés.

Les pseudo-alcaloïdes ne sont pas dérivés d'acides aminés. Ils peuvent cependant être indirectement liés à la voie des acides aminés par l'intermédiaire d'un de leurs précurseurs, ou d'un de leurs postcurseurs (dérivés). Ils peuvent aussi résulter d'amination, ou de réaction de transamination dans une voie connectée avec les précurseurs ou les postcurseurs d'acides aminés.

Tadeusz Aniszewski propose la classification suivante, basée sur les précurseurs dans la voie biologique de synthèse.

Alcaloïdes vrais

Précurseur

Groupe d'alcaloïdes

Noyau caractéristique

Exemples

L-ornithine L-Ornithine structure.png

Alcaloïdes pyrrolidiniques

Pyrrolidine Pyrrolidine structure.svg

Cuscohygrine, Hygrine

Alcaloïdes tropaniques

Tropane Tropan - Tropane.svg

Atropine, Cocaïne, Hyoscyamine, Scopolamine

Alcaloïdes pyrrolizidiniques

Pyrrolizidine Pyrrolizidine.svg

Acétyl-lycopsamine, Europine, Homospermidine,
Ilamine, Mételoidine, Rétronécine

L-lysine Lysin - Lysine.svg

Alcaloïdes pipéridiniques

Pipéridine Piperidin.svg

Anaférine, conine, Lobélanine, Lobéline,
Pelletiérine,Pipéridine, Pipérine, Sédamine

Alcaloïdes quinolizidiniques

Quinolizidine Quinolizidine.svg

Cytisine, Lupinine, Spartéine

Alcaloïdes indolizidiniques

Indolizidine Indolizidine.svg

Castanospermine, Swansonine

L-tyrosine Tyrosin - Tyrosine.svg

Alcaloïdes tétrahydroisoquinoliniques
simples

Benzyltétrahydroisoquinoline

Codéine, Morphine, Norcoclaurine, Papavérine,
Tétrandine, Thébaïne, Tubocurarine

L-tyrosine ou L-phénylalanine

Alcaloïdes phényléthylisoquinoliniques

Alcaloïdes des Amaryllidacées

Crinine, Floramultine, Galantamine, Lycorine

L-tryptophane

L-Tryptophan - L-Tryptophan.svg

Alcaloïdes indoliques

IndoleIndole structure.png

- Arundacine, Psilocine, Sérotonine, Tryptamine, Zolmitriptan
- Elaeagnine, Harmine
- Ajmalicine, Catharantine, Tabersonine

Alcaloïdes quinoléiniques

Quinoléine Quinoline structure.png

Chloroquinine, Cinchonidine, Quinine, Quinidine

Alcaloïdes pyrroloindoliques

Indole

A-yohimbine, Chimonanthéine, Corynanthéidine

Alcaloïdes de l'ergot de seigle

Ergoline Ergoline.png

Ergotamine, Ergokryptine

L-histidine L-Histidin - L-Histidine.svg

Alcaloïdes imidazoliques

Imidazole Imidazole structure.svg

Histamine, Pilocarpine, Pilosine

Alcaloïdes manzaminiques

Xestomanzamine

Xestomanzamine A et B

L-arginine Arginin - Arginine.svg

Alcaloïdes marins

β-carboline Beta-Carboline.svg

Saxitoxine, Tétrodotoxine

Acide anthranilique Anthranilic acid.svg

Alcaloïdes quinazoliniques

Quinazoline1,3-naphthyridine quinazoline.svg

Péganine

Alcaloïdes quinoléiniques

Quinoléine Quinoline structure.png

Acutine, Bucharine, Dictamine, Foliodine,
Perforine, Skimmianine

Alcaloïdes acridoniques

Acridine Acridin.svg

Acronycine, Rutacridone

Acide nicotinique Niacin structure.svg

Alcaloïdes pyridiniques

Pyridine Pyridine.svg
Pyrrolidine Pyrrolidine svg.svg

Anabasine, Cassinine, Evoline, Nicotine, Wilforine

Les proto-alcaloïdes sont des composés dans lesquels l'atome d'azote N dérivé d'un acide aminé ne fait pas partie d'un hétérocycle.

Proto-alcaloïdes

Précurseur

Groupe d'alcaloïdes

Noyau caractéristique

Exemples

L-tyrosine
Tyrosin - Tyrosine.svg

Alcaloïdes phényléthylaminés

Phényléthylamine
Fenyloetyloamina.svg

Adrénaline, Anhalamine, Dopamine, Noradrénaline, Hordenine,
Mescaline :
mescaline

L-tryptophane

L-Tryptophan - L-Tryptophan.svg

Alcaloïdes indoloterpéniques

IndoleIndole structure.png

Yohimbine

L-ornithine
L-Ornithine structure.png

Alcaloïdes pyrrolizidiniques

Pyrrolizidine Pyrrolizidine.svg

4-hydroxy-stachydrine, Stachydrine

Les pseudo-alcaloïdes sont des composés dont le squelette carboné de base ne dérive pas d'acides aminés.

Pseudo-alcaloïdes

Précurseur

Groupe d'alcaloïdes

Noyau caractéristique

Exemples

acétate Acetat-Ion.svg

Alcaloïdes pipéridiniques

Pipéridine Piperidin.svg

Coniine, Conicéine, Pinidine

Alcaloïdes sesquiterpéniques

Sesquiterpène

Cassinine, Évonine,
Maymyrsine, Wilforine

acide pyruviquePyruvic-acid-2D-skeletal.png

Alcaloïdes de l'Ephédra

Phényle C

Cathine, Cathinone,
Éphédrine, Noréphédrine

acide férulique Ferulic acid acsv.svg

Alcaloïdes aromatiques

Hényle General struct phenyl group.svg

Capsaïcine

géraniol Geraniol structure.png

Alcaloïdes terpéniques

Terpénoïdes

Aconine, Aconitine, Méthyllycaconitine,
Actinidine, Atisine, Gentianine

saponines

Alcaloïdes stéroïdiques

 

Cholestane, Conessine, Jervine,
Etioline, Prégnénolone, Solanidine

De l'intérêt actuel des alcaloïdes

Du fait de leurs rôles physiologiques ou de leurs activités biologiques spécifiques, les molécules alcaloïdes restent des importants réactifs biologiques. Elles présentent un intérêt toujours actuel en thérapeutique. Si la recherche des principes actifs continue activement en ce qui concerne les plantes médicinales et/ou toxiques, les alcaloïdes connus sont des produits de base de la pharmacie. En 1995, ils représentaient en valeur dans l'industrie pharmaceutique environ 1,5 milliard de francs, au même rang que les hormones, chiffre dépassé par les vitamines comptant 1,8 milliard de francs, mais dépassant en valeur les antibiotiques représentant 1,2 milliard de francs.

La nicotine est un insecticide végétal naturel. Ses effets sont multipliés si le composé toxique est ajouté à une émulsion d'huile végétale, dite huile blanche. L'ensemble est assez vite biodégradable. La ryanodine a été employée comme insecticide végétal.

 

 

Date de dernière mise à jour : 11/10/2018

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