LA CLASSIFICATION DES CHAMPIGNONS

 

  • La variété des formes
  • Les champignons à lamelles
  • Les champignons et les hommes
  • Classification des champignons
  • Les noms des champignons

1/ La variété des formes

La morphologie des champignons est infiniment variée. C’est sans doute cette variété qui donne à leur étude tant d’attrait. Et pourtant, comme nous l’avons vu, ceux que nous rencontrons sont  structurés en fonction de leur méthode de reproduction, c’est à dire selon qu’ils seraient pourvus d’asques ou de basides. Les Ascomycètes sont les plus simples et leur architecture s’organise sur le thème de la coupe. Les Pezizes en sont le type le plus primitif. Elles s’ouvrent en offrant leur hyménium vers le ciel, et leurs spores sont  projetées verticalement avant être emportées par le vent. C’est ce système de projection qui explique le caractère anotrope de leur hyménium. Cet hyménium lui-même donne lieu à très peu de formes différentes. Si les Pezizes en général ont un pied très court ou insignifiant, les Helvelles peuvent  être considérées comme des Pezizes élevées, car la coupe primitive est hissée sur un pied ; pour augmenter sa surface sporogène, elle se chiffonne et se replie  sur elle-même de façon aléatoire. Ce pied est plus ou moins perfectionné ; il peut être soit simplement cylindrique et creux, soit lacuneux et formé d’éléments parallèles, entre lesquels des espaces libres procurent une économie en assurant en même temps une plus grande stabilité. Pour les Morilles, on est en présence d’une autre méthode. Chaque Morille est pour ainsi dire une collection de Pezizes portées sur un même pied. Elles font penser aux colonies de Polypes marins. D’où encore une économie de moyens pour une plus grande surface fertile. Mais on remarquera  que les Ascomycètes sont limités dans leurs ambitions architecturales par le fait qu’ils sont constitués presque uniquement de cellules rondes accolées les unes aux autres, ce qui leur donne une certaine fragilité. On le voit bien quand on a la chance de rencontrer une Morille géante : le plus souvent son pied n’a pas la force de supporter sa tête, et elle se couche sur le flanc. Les Ascomycètes ont aussi produit les Gyromitres, où l’hyménium porté sur un pied se contourne et se multiplie en replis qui évoquent ceux d’une cervelle.

Il n’y a pas de solution de continuité absolue entre les Ascomycètes et les Basidiomycètes. En effet, par une série de gradations, on observe chez les Basidiomycètes primitifs, chez les Trémelles par exemple, des basides qui au lieu de porter leurs spores en bouquets à leur extrémité, les portent une à une sur leurs flancs, comme s’il s’agissait d’un asque qui, au lieu de s’ouvrir par son extrémité, émettrait ses spores par voie latérale. Il est donc probable que les Basidiomycètes seraient issus des Ascomycètes par évolution progressive.

Mais les Basidiomycètes ont abouti à des solutions infiniment plus diverses, et ils ont essayé toutes les formes. Les plus simples sont  constituées par les Aphyllophorales, c’est à dire les champignons sans lamelles. Les clavaires en sont le type. La Clavaire en pilon  (c. pistillaris), par exemple, est faite d’un faisceau de fibres  parallèles revêtu d’une enveloppe hyméniale. C’est là évidemment une solution simpliste, car cet hyménium est offert nu à toutes les intempéries, sans aucune protection. D’autre part, le rapport entre la masse du champignon et sa surface utile est misérable et le rendement  désastreux.

Mais les clavaires elles-mêmes n’en sont pas restées à ce module. La plupart d’entre elles ont réussi à multiplier leur surface  en se ramifiant à partir d’un tronc commun, des branches se diversifient et se subdivisent, et chaque division multiplie par deux la surface utile.  Pour le même poids de matériau, la surface d’une Clavaire chou-fleur  (C. borytes) est au moins dix fois celle de la  Clavaire en pilon. Il y a des clavaires de toutes tailles, et on peut remarquer que les petites espèces, comme C.  cristata, sont  saprophytes, tandis que les espèces massives comme la Clavaire chou-fleur sont Myrorhizique.

Mais les Aphyllophorales comprennent encore bien d’autres formes. Ainsi la Chanterelle si familière en fait partie, car les replis qu’on voit à la face inférieure de son chapeau ne sont pas des lamelles. Ce sont seulement des excroissances de l’hyménium qui s’organise en forme de rides plus ou moins profondes, qui n’ont rien à voir avec des lamelles. Mais les Chanterelles montrent un progrès  évident : leur hyménium n’est plus livré à tous les caprices  atmosphériques, il est protégé par un chapeau, qui est un véritable parapluie, et cette solution du chapeau sera adoptée par une grande majorité de Basidiomycètes.

D’autres Aphyllophorales sont également familièrement. Ce sont les Polypores, au sens large du terme. Les plus primitifs n’ont même pas de « pores », mais sont de simples croûtes qui tapissent le bois mort qui leur sert d’hôte. Ce sont les Corticiums, qui ont leurs passionnés et leurs spécialistes, car ils ont l’avantage d’être là toute l’année et de permettre d’herboriser même en hiver. Mais les vrais Polypores sont faits d’un tissu fibreux, tantôt (le plus souvent) à consistance de liège, ou presque ligneux. Les tubes qu’on voit tapisser la surface inférieure de ces « amadous » ne sont que le prolongement de la chair, et n’en sont aucunement  séparables.  C’est à l’intérieur de ces tubes que se forment les basides et que tombent les spores. Chez les espèces vivaces, chaque année une couche nouvelle de tubes sort de la précédente et augmente l’épaisseur du réceptacle qui s’agrandit d’autant.

Une autre solution adoptée par les Aphyllophorales est celle des aiguillons. Chez les Hydnacées, par exemple, l’hyménium au lieu d’être fait de tubes et fait de pointes, dont le moulage donnerait exactement la forme d’un hyménium poré. C’est une sorte  d’inversion morphologique ; ici ce sont des aiguillons qui sont tapissés de basides. Si la plupart de ces Hydnacées ont la forme plus ou moins classique d’un champignon, comme le Pied de mouton, d’autres ont adopté un parti monumental. L’Hydne coralloïde par exemple est fait d’une base épaisse qui se ramifie à l’extrême, et chaque rameau est couvert d’une infinité d’aiguillons fertiles d’une longueur considérable. Le nombre de spores émises est d’autant plus important.

Les Gastéromycètes sont ces nombreux champignons dont l’hyménium, au lieu d’être ouvert, est enfermé dans une enveloppe à l’intérieur de laquelle il se déshydrate à maturité et dont il s’échappe en forme de poussière impalpable. Les Vesses de loup en sont le modèle le plus courant, et on ne se doute guère en donnant un coup de pied à ces champignons pour en faire sortir la « fumée » qu’ils suscitent parmi les mycologues des discussions passionnées. En effet, ces Vesses de loup sont inexplicables. On se demande si ce sont des champignons à  lamelles qui se sont refermées sur eux-mêmes, ou bien au contraire si les champignons à lamelles sont un jour sortis des Lycoperdons et analogues. Comme il existe des formes intermédiaires, on discutera longtemps encore pour savoir quelle forme est sortie d’une autre. Ces Vesses de loup présentent d’ailleurs une grande variété de formes, il y a loin du simple Lycoperdon perlé aux Géastres à double paroi, aux gigantesques Bovites, et aux Sclérodermes à peau épaisse et dure.

Il est probable que ces champignons refermés sur eux-mêmes sont des formes adaptées à des climats secs et brûlants, car ils sont  beaucoup plus fréquents dans les steppes ou même dans les déserts. Il en va de même pour les champignons souterrains. Les truffes, par exemple, sont des Pezizes repliées sur elles-mêmes et qui se sont enterrées pour échapper au soleil du Midi.

A côté des Gastéromycètes auxquels on les a souvent rattachées se trouvent les Phallacées. C’est peut-être la famille la plus étonnante parmi tous les champignons. Cette famille a la particularité de naître dans une volve ; au début, ses représentants ressemblent en effet à des vesses de loup. Mais en réalité leur constitution est complètement différente. S’ils se montrent avec la forme d’un œuf il est rempli d’une substance qui ressemble à du blanc d’œuf, et qui va servir de lubrifiant au carpophore qui se trouve à l’intérieur, sous une forme ramassée et pour ainsi dire à ressort. C’est ainsi qu’un Phallus impudicus, quand on coupe son œuf, laisse, apparaître une sorte de noyau verdâtre entourant une masse blanche serrée. Mais cette masse blanche est en réalité un corps caverneux qui se détend avec vigueur, déchire l’enveloppe, et en quelques heures se dresse complètement, en portant à son sommet un chapeau en forme de dé percé d’un trou.. D’abord lisse, ce chapeau très vite se décompose et laisse s’égoutter sa substance qui répand une odeur de cadavre en décomposition insupportable. Aussitôt les mouches à viandes attirées de loin se gorgent de cette substance pleine de spores; comme ces spores ne sont pas atteintes par les sucs digestifs, elles seront répandues çà et là par les excréments des mouches qui en assureront la propagation.

Il s’agit en fait ici de donner une explication possible de phénomènes dont l’ingéniosité apparente nous dépasse et que seule l’analogie avec ce que nous connaissons peut faire comprendre.

 

2/ Les champignons à lamelles

Les champignons à lamelles forment un groupe très nombreux, le plus connu, et celui qui répond le mieux à l’idée que l’on se fait d’un champignon. On les désigne sous le nom d’Agaricales, ou plus simplement d’Agarics, dans le langage courant. Mais qu’est-ce qu’une lamelle ? Quand on étudie le premier stade d’un champignon à lamelles, on voit en coupe une simple sphère faite d’une chair non différenciée. Mais à un stade plus avancé, on voit cette sphère prendre une autre forme, son sommet devenir plus important et  peu à peu une marge s’individualiser; entre cette marge et le futur pied une cavité circulaire se creuse. On voit progressivement à commencer par la partie supérieure de cette cavité pousser les futures lamelles qui se développent à partir de la substance du chapeau.

A mesure que le chapeau se développera, ces lamelles prendront de plus en plus d’importance, car tout le corps du champignon est en réalité conçu pour elles. Quand le carpophore est complètement éclos, on voit ces lamelles tapisser la totalité de l’espace disponible entre la marge et le pied. Comme les grandes lamelles, si elles étaient seules, laisseraient beaucoup de place vide vers le bord, il se forme entre des lamelles plus courtes pour boucher  les trous, si l’on peut dire ; et on verra des lamelles de toute longueur, les plus courtes vers la marge étant souvent minuscules.

Ces lamelles sont plus perfectionnées. Ainsi chez les Hygrophores, qu’on considère comme des Agaricales primitives, les lamelles sont très épaisses et écartées les unes des autres, de sorte  que la surface de l’hyménium reste assez faible. Au contraire, chez les Lépiotes, les lamelles sont à la fois larges, minces et très serrées, si bien que si on calcule la surface des lamelles chez une lépiote élevée, de 20 cm de ø, on aboutit à un total d’un mètre carré ou davantage. Ici le rendement est à son maximum. Mais il y a tous les intermédiaires, et selon les genres et les espèces, l’efficacité des lamelles est très différente. Le record appartient peut-être aux coprins, car chez eux il n’y a même plus de tissu de soutien ; tout le carpophore est fait de lamelles supportées par un disque charnu minuscule. L’ensemble n’est qu’un faisceau de lamelles extrêmement serrées, au point de former un corps compact qui se dissout peu à peu  par autodigestion pour libérer ses spores.

On est généralement étonné d’apprendre que les Bolets sont des Agarics. Longtemps les anciens mycologues les avaient rangés à côté des Polypores, parce qu’ils étaient garnis de tubes, en fait d’hyménium. Mais en observant de plus près, on s’est aperçu qu’entre tubes et lamelles, il y avait toutes les gradations possibles ; les Phylloporus par exemple ont un hyménium fait de telle sorte qu’on ne saurait dire s’il est lamellé ou tubulé. En fait, les tubes des bolets ne sont que des lamelles anastomosées. Contrairement aux tubes des polypores qui font partie de leur chair même et en sont inséparables, les tubes des bolets sont de véritables organes indépendants et entièrement séparables. De plus la nature chimique des bolets s’éloigne complètement des polypores. C’est un exemple remarquable de ce fait dans la Nature, il ne faut pas se fier aux ressemblances extérieures, car des espèces complètement différentes peuvent par convergence d’évolution présenter des similitudes qui paraissent d’abord évidentes et qui en réalité sont tout à fait trompeuses.

Les russules et les lactaires présentent un cas particulier. Ce sont bien des champignons à lamelles, mais si on étudie leurs embryons, on s’aperçoit que la formation de ces lamelles ne ressemble pas du tout à celles des autres agarics. Chez un champignon de couche, les lamelles se développent aux dépens de la chair et du chapeau qui leur sert à la fois de réserve et de support. Chez les russules, à l’examen, on voit non pas des lamelles pousser, mais des sillons se creuser ; ces sillons se tapissent peu à peu de tissu Hyménien. De sorte que si chez les agarics ordinaires, la lamelle est l’unité hyméniale, chez les russules et les lactaires, l’unité est non pas la lamelle, mais la Vallécule, c’est à dire le sillon creusé entre deux lamelles. C’est une des raisons pour lesquelles ont fait des lactaires et des russules une classe à part, les Lactario-russulés, ou encore Astérosporés, c’est à dire des champignons à spores étoilées. En effet, les spores de ces deux genres ont la particularité d’être revêtues d’ornements en relief. Et ces ornements ont la curieuse propriété de se colorer en violet-noir au contact d’un réactif iodé, qui permet de les voir dans toute leur complexité. Ces ornements sont si particuliers pour chaque espèce que la plupart du temps, c’est l’examen microscopique des spores qui permet d’arriver à détermination sûre dans ces genres difficiles.  

Mais à l’intérieur des agarics, on distingue ceux qui sont nus, c’est à dire ceux qui à leur naissance n’ont aucune enveloppe visible, et au contraire ceux qui sont pourvus d’un ou plusieurs voiles. Ainsi les amanites présentent un voile général, la volve qui les enveloppe avant leur éclosion, et un  voile partiel, qui couvre les lamelles avant l’éclosion du chapeau, qui se déchire alors à la marge, et retombe sur le pied sous forme d’un anneau. Cet anneau lui-même peut être simple ou double, et tous ces éléments mettent sur la voie quand on veut savoir à quel genre appartient telle ou telle espèce.

Un autre élément entre en ligne de compte pour les agarics : la couleur des spores. Le mycologue suédois Fries, qui est le père de la nomenclature, considérait cette couleur comme de très haute importance, et avait classé les agarics en Leucosporés, c’est à dire à spores blanches, en Rhodosporés, c’est à dire à spores roses, en Ocrhosporés, c’est à dire à spores ocres, en Ianthinosporés c’est à dire à spores pourpres, et en Mélanosporés, c’est à dire à spores noires. Bien qu’on soit revenu d’une distinction aussi simpliste, elle a conservé une grande valeur, même si elle est relative. Ainsi les russules qui étaient classées dans les Leucosporé peuvent avoir des spores jaune vif, certaines Tricholomatacées classées de même ont des spores rosées, et les Psalliotes à spores pourpres sont de constitution très voisine des Lépiotes à spores blanches. De plus, si nos amanites ont des spores blanches, il existe des espèces exotiques dont les spores sont vertes. Mais dans l’ensemble, la couleur des spores est un signe de première importance et qu’il faut examiner en priorité.

On verra plus loin le tableau de la classification de toutes ces familles de champignons. Et l’on verra du même coup que la classification, bien loin d’être une suite abstraite de noms barbares, rend compte de toute une évolution dont la Nature a conservé assez de témoins pour que nous puissions nous en faire une idée claire. Une fois que l’on est capable de voir dans son ensemble la suite des formes fongiques, en partant des plus simples pour arriver aux plus complexes, on a fait un grand progrès.

Les champignons, par la diversité de leurs formes, présentent à l’amateur une variété toujours surprenante ; ils ont de plus le charme de l’inattendu perpétuel, étant donné les caprices de leurs apparitions et de leurs apparences.

3/ Les champignons et les hommes

Depuis la plus haute antiquité, les champignons ont intrigué les hommes, soit qu’ils en aient eu peur, soit qu’ils les aient utilisés comme un aliment naturel.

Nos ancêtres qui vivaient de cueillette et de chasse avaient déjà dû essayer de les consommer, à leurs risques et périls ; ils avaient déjà distingué ceux qui étaient inoffensifs ou agréables et ceux qui pouvaient provoquer de graves intoxications. Il est curieux de remarquer à ce propos que certains peuples en consomment de grandes quantités, les mycophages, tandis que d’autres en ont horreur. Ainsi les Russes s’en nourrissent énormément, et le mycoethnologue R.G. Wasson en donne une explication ingénieuse. Les peuples qui vivaient dans les grandes plaines de l’Est étaient fréquemment soumis aux invasions venant d’Asie, dans ce cas-là, pour survivre, se réfugiaient dans les forêts impénétrables où les envahisseurs ne pouvaient les poursuivre. Pour se nourrir, ils avaient recours non seulement aux fruits sauvages qu’ils pouvaient trouver, aux racines comestibles, et à  divers bulbes et feuillages, mais aussi aux champignons qu’ils trouvaient en quantités considérables. Et les champignons étaient devenus pour eux un moyen primordial de survie. De là la connaissance remarquable du peuple russe de ceux qui se mangent et de ceux dont il faut se méfier.

Au contraire, les peuples anglo-saxons  et germaniques en ont plus ou moins horreur. Les Anglais en particulier 

Les considèrent avec une méfiance extrême. Ils les appellent toad-stools, c’est à dire « siége de crapauds », et les associent inconsciemment à toutes sortes de légendes sataniques. Il y a quelques promenant en années, des forestiers français se Ecosse avaient trouvé des cèpes superbes et avaient demandé à leur aubergiste de les cuire. Il s’y était refusé, mais leur avait permis de les préparer eux-mêmes s’ils en avaient envie. Ce qu’ils firent. Mais au moment du repas, ils eurent la surprise de voir une foule autour de l’auberge. C’était des curieux qui attendaient pour voir comment se suicidaient les français ! (Une histoire similaire à été vécue par J.P.P. en Espagne province de Huesca, avant que les français enseignent la « comestibilité » des cèpes )

A vrai dire, sur des milliers d’espèces qu’on peut rencontrer, il n’y en a guère qu’une centaine qui vaut la peine d’être mangée. La plupart des autres sont trop petits, trop coriaces, trop amers, trop âcres, trop nauséabonds, ou trop toxiques. Néanmoins, ils fournissent un aliment d’appoint qui n’est pas négligeable, et surtout une nourriture amusante, souvent savoureuse et parfumée, qui devient parfois un grand luxe à cause de sa rareté, d’où le prestige des truffes ainsi que des morilles et de quelques autres. Il y a surtout le plaisir de leur recherche, qui demande du flair, de l’attention et du raisonnement. Il est probable que ce plaisir est chez nous un reste du talent que devaient y mettre nos ancêtres du paléolithique ; quand nous cueillons des mûres, des framboises ou des champignons, nous répétons sans le savoir des gestes préhistoriques dont nous avons hérité à travers bien des siècles.

Leur valeur économique vient moins de celle des champignons sauvages que de ceux que l’on a réussi à cultiver. En France en particulier, la culture du champignon de couche inventée par nos jardiniers au XVIIe siècle et pratiquée aujourd’hui à l’échelle industrielle représente un marché considérable. Ces «champignons de Paris» sont au sixième rang de nos exportations. Ils font partie obligatoirement d’un grand nombre de préparations culinaires et font partie intégrante de la cuisine traditionnelle française. En Extrême-Orient,  «le champignon parfumé» des restaurants chinois donne lieu à une culture tout aussi importante. Elle se pratique sur des lattes de chêne et la production de cette espèce (Lentinellus edodes) est équivalente à celle de notre champignon de couche. D’autres espèces ont été mises en culture, telles les pleurotes…etc.

Il y a aussi des champignons à usage industriel. Ainsi l’Amadou hirsute  (Inonotus hirsutus) est utilisé par les ébénistes pour colorer le bois en un brun superbe. L’amadou classique était utilisé autrefois pour allumer ou entretenir le feu. De plus on se servait de lamelles fines d’amadou pour arrêter les hémorragies et les pédicures s’en servent encore pour isoler les ongles incarnés. Le polypore du bouleau (Piptoporus betulinus), coupé en tranches et bien aplati, sert de cuir à rasoir, ou pour aiguiser les fins instruments de joaillerie. Toutefois, ces usages sont tout à fait restreints et ont tendance à tomber en désuétude.

Plus important est leur usage pharmaceutique. Tout le monde connaît les antibiotiques tirés de diverses espèces microscopiques. La découverte de leurs vertus est récente et a provoqué une véritable révolution en médecine. Mais il y a quelques espèces de gros champignons dont les propriétés sont remarquables. Le Polypore du mélèze (Polyporus officinalis), qui est d’une amertume épouvantable, a été et est encore utilisé pour combattre les sueurs profuses, administrés en cachets qui en dissimulent la saveur atroce.

Les spores du Lycoperdon pyriforme  servent de pulvérisateur contre le rhume de cerveau, grâce à leurs propriétés astringentes. On fonde aussi de grands espoirs pour le traitement du cancer sur un polypore qui croît sur les bouleaux. Mais on commence seulement à explorer les propriétés possibles de ces champignons supérieurs, et il est probable qu’ils nous réservent des surprises.

Il y a aussi les champignons nuisibles. D’abord une cohorte de microscopiques, moisissures, mildious, oïdiums divers, qui attaquent les plantes cultivées et contre lesquels il faut se défendre à grand renfort de produits chimiques divers. Les plantes sauvages y sont beaucoup moins sensibles, mais les plantes cultivées sont devenues fragiles et se laissent parasiter presque sans défense. Mais à côté des traitements nécessaires, les agronomes désormais s’efforcent de « créer » des variétés réfractaires (O.G.M.), et  ils y réussissent.

Si dans les catalogues horticoles d’aujourd’hui beaucoup de variétés méritantes d’autrefois ont disparu, c’est parce qu’elles étaient trop sensibles ; les nouvelles, étant résistantes à diverses sortes d’atteintes, ont supplanté celles qui étaient trop fragiles. Mais c’est toujours à recommencer, car telle variété résistante maintenant peut ne plus l’être demain, et les parasites s’adaptent très vite à de nouvelles proies, comme ils s’adaptent aux poisons avec lesquels on veut les détruire.

Parmi les nuisibles il faut compter les parasites du bois. Ce sont presque exclusivement des Polypores ou analogues. Le plus connu de ces parasites est le Mérule (Gyrophana lacrymans) qui forme sur les poutres humides des plaques molles, brunes, ridées, bordées de blanc, et qui laissent échapper des gouttes suintantes. Quand ce champignon s’en prend à une charpente, elle est détruite avec une rapidité déconcertante, et comme rien ne le révèle à l’extérieur, il arrive que tout à coup un plancher s’effondre et provoque de graves accidents. Le seul remède est d’assécher l’endroit, car cette espèce ne supporte pas le grand air, de remplacer les poutres malades et de les traiter d’abord avec les produits protecteurs adéquats.

Ce mérule n’est pas connu depuis très longtemps. Il semble qu’il a fait son apparition dans l’histoire en infestant les bateaux de l’amiral Nelson, dont un grand nombre fut détruit sans remède. Il est vrai que l’humidité qui règne dans les bateaux qui sont des lieux fermés lui est très propice. C’est à la suite de cette catastrophe qu’on a commencé à construire des bateaux métalliques. Comme quoi l’existence d’un champignon a suffi à contraire les hommes à inventer une nouvelle technique.

D’autres polypores s’attaquent aux arbres. Il est fréquent que l’on voie, même dans les grandes villes, des arbres des avenues porter un énorme polypore jaune, le P. sulphureus qui a tôt fait d’en ronger le cœur, et l’arbre, tôt ou tard, est destiné à s’écrouler. Les cerisiers en meurent fréquemment. En forêt se sont les « amadous » qui s’en prennent aux arbres de n’importe quelle essence, quoique certains soient spécialisés pour les chênes, d’autres peupliers, d’autres les conifères, etc.

C’est une perte pour l’exploitant  forestier, car le bois ainsi attaqué devient spongieux et perd toute valeur marchande.

Enfin il y a ceux qui s’attaquent à l’homme et aux animaux. Certains font tomber les cheveux, c’est la pelade, d’autres les emmêlent, c’est la plique, d’autres provoquent la formation de plaques rouges ça et là sur tout le corps. Le plus souvent, ils sont les témoins d’une hygiène insuffisante ou d’un état d’un état de grande faiblesse.

Leur rôle utile est de réduire les matières mortes dans leur élément et de les faire retourner dans le cycle vital. Mais ils peuvent aussi provoquer de graves dommages en s’attaquant aux cultures, aux animaux et à nous- mêmes.

4/ Classification des champignons

Le mot de classification suffit à lui seul à faire fuir les amateurs. On se souvient avec horreur des tableaux que l’on a été plus ou moins contraints d’essayer d’assimiler à l’école sans y comprendre grand  chose. On y voit qu’une terrible abstraction pleine de pièges et constellée de noms plus ou moins barbares qui ne représentent rien à l’esprit. En fait, une classification bien comprise présente un véritable intérêt, car elle permet de voir en un coup d’œil comment la Nature à partir des formes les plus simples est parvenue par sauts ou par adaptations successives à des architectures de plus en plus complexes et plus efficaces. Il nous faut donc partir des plus primitifs pour arriver à la fin aux genres et aux espèces les plus évolués, dont les gros champignons que nous récoltons couramment  en sont les principaux représentants. Presque en dehors des autres groupes se trouvent les Myxomycètes. Ils sont à la fois animaux et végétaux, car au début de leur croissance, ils se présentent comme une masse gélatineuse et transparente, douée de mouvement, qui « marche » à la recherche de sa nourriture sur son support. Cette masse indifférenciée, quand elle est rassasiée, tout à coup subit un véritable phénomène de cristallisation, et se transforme en carpophores très variés, malheureusement de faible taille pour la plupart, mais d’une élégance admirable, vus sous la loupe. Les représentants les plus communs de ce groupe sont les Lycogala epidendron, ou « lait de loup », qui forme sur les bois morts de jolies petites sphères roses vif, et la Fleur de tan dont on voit souvent les masses fructifères sous forme d’un amas poudreux et jaune vif en particulier sur les souches mortes de chêne.

Les Chytridiomycètes, les Oomycètes  et les Zygomycètes ne comprennent guère que des champignons microscopiques, à la séries desquels appartiennent la plupart des maladies de nos végétaux, comme la gale verruqueuse, l’encre du châtaignier  ou du chêne, le mildiou de la pomme de terre, et les divers mildious qui attaquent le tabac, la vigne, la banane, et toutes les maladies qui affectent en particulier les semis quand ils sont faits en serre, où les champignons trouvent les conditions parfaites de leur croissance grâce à l’humidité ambiante et à la douceur de la température. Mais ces champignons à étudier au microscope sont l’affaire de spécialistes, pourvus des équipements adéquats. L’amateur ne peut guère espérer faire mieux que de déterminer les espèces les plus communes et les plus visibles sur les rosiers ou les tomates de son jardin.

Viennent les Ascomycètes. Cette énorme classe comprend une série considérable d’espèces microscopiques, parasites et souvent nuisibles comme les teignes, la maladie de l’orme, les divers oïdiums qui attaquent les rosiers, les chênes, les pommiers, la vigne, etc. Mais les Ascomycètes qui se caractérisent par la façon qu’ils ont de générer leurs spores à l’intérieur de petits sacs appelés justement « Asques », ont évolué vers des formes plus riches et de plus grande taille. Alors que leurs formes primitives se contentent de s’étendre d’une manière amorphe et aléatoire sur leur support, quand on en arrive aux grandes formes, on se trouve en présence de genres entiers non seulement visibles à l’œil nu, mais souvent de taille considérable.

Voici d’abord des Pezizales qui sont  de structure fort simple. Le principe de leur architecture est une simple coupe, à l’intérieur de laquelle se pressent les asques, qui une fois mûres, expulsent leurs spores vers le ciel. Cette coupe peut être entière comme chez les véritables Pezizes, ou fendue sur le côté, comme chez les Otidées, ou portée sur un pied individualisé, comme chez les Helvelles ou les Gyromitres. On remarquera que chez les Helvelles et analogues, la coupe primitive varie ses formes en se chiffonnant de diverses façons. Chez les gyromitres, elle prend des allures cérébriformes, et des sillons qu’on y remarque ont pour conséquence de multiplier la surface sporogène en la rendant plus efficiente. C’est là évidemment une évolution positive par rapport aux pezizes toutes simples dont la surface unie n’a fait preuve d’aucune imagination. Pour les helvelles, la coupe primitive se chiffonne et se replie sans aucun ordre apparent, mais le résultat est le même.

Pour les morilles, qui représentent les plus évoluées des Ascomycètes, la solution adoptée est différente. On peut les considérer comme des colonies de pezizes agglomérées selon un ordre différent dans chaque espèce, ou simplement comme une tentative de multiplier la surface en creusant d’alvéoles tels que si on voulait les déployer à plat, la surface proprement dite d’une morille serait multipliée par trois au moins

Le cas des truffes est  aussi instructif. Les asques des truffes sont enfermés dans des logettes et les spores ne sont livrées à la Nature que lors de la décomposition des champignons. C’est que les truffes et analogues, comme tous les champignons souterrains, manifestent une adaptation aux climats secs. On peut considérer une truffe comme une pezize qui, au lieu  de fructifier à l’air libre, s’est entièrement repliée sur elle-même et a choisi la vie souterraine pour échapper aux aléas de la sécheresse extérieure.

Un autre ascomycète fait « bande à part » : c’est le Bulgaria inquinans, si fréquent sur les troncs de chênes à terre, où il prolifère dans les fentes de l’écorce. Ce Bulgaria est entièrement gélatineux et se comporte comme une pezize charnue et plus durable que ses congénères. Les Basidiomycètes comprennent aussi quelques genres microscopiques, comme les charbons, les caries et les rouilles qui attaquent les céréales ou les arbres fruitiers. Mais c’est parmi eux que se trouvent la plupart des espèces qui répondent à l’idée que l’on se fait en général des champignons. Les plus primitifs des basiomycètes ont des basides encore toutes proches des asques dont elles sont le stade d’une transformation progressive. On voit par exemple que les basides auriculaires ou des trémelles sont comme on dit « septées », c’est à dire qu’au lieu de se présenter classiquement comme une grosse cellule allongée portant des stérigmates  terminés par les spores, elles sont coupées en quatre dans le sens de la largeur, chaque élément portant une spore, ou dans le sens de la longueur, les spores apparaissent alors non à l’extrémité de la baside, mais sur ses côtés.

Mais on rencontre sur cette voie largement ouverte tout de suite des genres évolués, comme par exemple les Calcocères, qui sont des Protoclavaires, puis les clavaires véritables, dont l’hyménium est nu, comme celui des chanterelles et des hydnes. Cet hyménium est déjà variable. Celui des clavaires peut être simple et en forme de fuseau, ou au contraire rameux et coralloïde, ce qui représente un grand progrès. Les chanterelles font mieux encore. Très voisines des clavaires par leur contexture, elles en diffèrent parce que leur chapeau est un véritable chapeau, et que leur hyménium au lieu d’être exposé à tous les vents, est infère, c’est à dire tourné vers le bas et à l’abri du chapeau lui-même. De plus cet hyménium se multiplie en se plissant plus ou moins profondément. Ce ne sont pas encore des lamelles, mais cela s’en rapproche. Tout près des chanterelles se trouvent les craterelles qui sont des chanterelles membraneuses et sans plis. Quant aux hydnes et  analogues, ils ont enrichi leur hyménium en le divisant en une infinité de pointes, qui sont exactement l’inverse des tubes des polypores ou des bolets. Si on moulait l’hyménium d’un hydne, le moulage offrirait exactement l’apparence du dessous d’un bolet.

Citons maintenant ceux que l’on appelle les « Poriales ». Les plus simples comprennent des genres qui sont faits d’une simple croûte appliquée sur le support, qui est généralement du bois, comme le font les Corticiums. Le Mérule, les Stérées n’en sont pas loin. On peut considérer les stérées comme des polypores sans tubes. L’absurdité apparente de cette expression dit cependant bien ce qu’elle veut dire.

Les polypores proprement dits forment à eux seuls un monde à part, et fort nombreux. On distingue en gros d’abord ceux qui sont constamment charnus, comme le Polypore en ombelle ou le Polypore pied de chèvre.

Puis ceux qui commencent par être charnus et deviennent bientôt coriaces, comme le Polypore d’hiver. On les appelle Leucopores. On en distingue ceux qui ont le pied noir, comme le Polypore écailleux, et ce sont les Melanopus. Viennent ceux qui ont la consistance du liège – on les dits subéreux – ou même qui sont durs comme du bois. Ce sont ceux que l’on appelle vulgairement « amadous » et qui comprennent un grand nombre de genres dont les principaux sont Lenzites, dont les spores sont remplacées par de grosses lamelles coriaces. Les Tramètes les Corioles, et les divers genres prennent la forme d’un sabot de cheval sortant du tronc d’un arbre. On les sépare les uns des autres selon la couleur de leurs spores, qui peuvent être blanches, jaunes ou brunes. Les uns possèdent sur leur chapeau une croûte épaisse, d’autres en sont dépourvus, et ce sont là autant de caractères qui ont permis de mettre un peu d’ordre dans cet énorme ensemble.

Et voici une famille qu’on ne sait où loger. C’est celle des Lactario russulés, que l’on appelle aussi Astérosporales. Ce deuxième nom vient du fait que leurs spores sont toujours ornées de pointes, de crêtes, de réseaux en relief ; ces ornements sont très souvent spécifiques et ont  permis de séparer les unes des autres bon nombre d’espèces qu’on avait confondues avant un examen approfondi. Mais ces champignons ont une autre particularité, alors que les autres champignons sont faits de cellules allongées qui s’organisent en faisceaux et leur donnent leur cohérence verticale, les lactaires et les russules ont une consistance très différente. Leurs cellules sont presque toutes sphériques et simplement entassées les unes des autres. Ces champignons comprennent aussi quelques cellules longues, mais trop peu pour qu’on ne remarque aussitôt que le pied d’un lactaire ou d’une russule se brise à la traction comme un morceau de craie, alors que celui d’une chanterelle par exemple laissera voir la déchirure des fibres dont il est constitué.

Encore une différence curieuse : chez les autres champignons à lamelles, on voit en étudiant leurs embryons que ces lamelles croissent à partir des réserves que leur offre la chair du chapeau. Chez les lactaires et les russules, leur développement est très différent. On voit au même stade les lamelles non pas « pousser », mais se ranger de part et d’autre d’un sillon qui se creuse dans la chair du chapeau. Si bien que chez les espèces de cette famille, ce n’est pas la lamelle qui est l’unité hyméniale, mais le sillon qui les sépare et que l’on appelle vallécule. La découverte de ce processus a contribué à faire considérer cette famille comme absolument différente de toutes les autres. Leur apparence « agaricoïde » n’est qu’une illusion d’optique.

Nous allons découvrir maintenant les champignons à vraies lamelles. Ce sont les Agaricales, qui comprennent les espèces les plus connues, les plus prestigieuses et aussi les plus toxiques. On inclut aujourd’hui dans les Agaricales, sous le nom de Bolétales, des Agarics dont l’hyménium est tubulaire, comme celui des cèpes, et séparable. Les polypores ont aussi un hyménium tubulaire, mais il est inséparable de la substance du chapeau dont il est le prolongement. Et si on a rapproché les bolets et analogues des agarics, c’est parce qu’il existe entre tubes et lamelles tant de gradations qu’on a compris assez vite que la distinction que l’on croyait absolue (au point que les anciens mycologues rangeaient les bolets parmi les polypores) n’était qu’une apparence, et que les tubes des bolets n’étaient en fait que des lamelles plus ou moins rigoureusement anastomosées. Il y a d’ailleurs des Bolétales à lamelles. Les paxilles et les gomphides par exemple, malgré leurs lamelles, ont tous leurs autres caractères rigoureusement boletoïdes, et on est bien obligé de faire d’eux des Bolétales. Qu’on veuille bien remarquer en passant que les ressemblances extérieures, en mycologie, cachent souvent les réalités profondes. Quant aux agaricales proprement dites, elles comprennent un grand nombre de genres distribués en familles. D’abord les plus primitives, qui sont les Hygrophoracées. Les hygrophores se caractérisent par des lamelles épaisses et espacées de consistance cireuse, et un habitat soit forestier soit praticole selon les sous-genres. Toutes les espèces semblent être Myrorhizique. Les Tricholomacées sont plus évoluées. Il n’y a pas de solution de continuité entre le pied et le chapeau, qui n’est qu’un évasement du pied. Mais les lamelles sont bien moins primitives. Elles sont libres ou échancrées, ou décurrentes. Les genres principaux sont Tricholoma, Lepista et  Clitocybe. Mais on rattache aussi à cet ensemble les pleurotes, qui sont lignicoles, les clitopiles à spores roses et côtelées, les lentins, également lignicoles, les marasmes, qui sèchent facilement et sont reviviscents avec la pluie, les collybies, à pied coriace et à chapeau charnu, les Mycènes, fragiles, et souvent minuscules, les lactaires, si communes et si variables de forme, les tricholomes proprement dits, et aussi les armillaires. Tous ces champignons ont des spores blanches, roses chez les clitopiles ou chez certains Lepista.

Les Rhodophyllaceae ont une particularité bien singulière : leurs spores sont roses, et elles sont polyédriques. Quand on les regarde au microscope, on est toujours surpris de voir qu’au lieu d’être plus ou moins lisses comme elles le sont presque toutes, celles-ci offrent un profil polygonal, et les angles en sont disposés de telle façon que souvent ils suffisent à déterminer une espèce dans ce genre entre tous complexe. Avec les Cortinariacées, nous entrons dans le domaine des genres à spores de couleur brune, ocre, ou rouillée. Les genres principaux sont les inocybes, caractérisés par leur port généralement conique, leur chapeau presque toujours plus ou moins pelucheux, velouté ou hérissé, et un voile partiel très fragile souvent impossible à déceler.

Les cortinaires, eux, se reconnaissent immédiatement aux restes de leur cortine, c’est à dire du voile aranéeux  qui les enveloppe dans leur jeune âge et dont il reste des lambeaux plus ou moins importants à l’âge adulte sous forme de filaments sur le pied. C’est  un genre énorme dont le nombre des espèces vont du minuscule au géant. Mais il y a une « physionomie cortinaire » qui ne compte pas un œil un peu averti.

Tout prés des cortinaires se trouvent les Hébélones, qui  leur  ressemblent, mais dont le chapeau de couleur terne et souvent  visqueux ne présente qu’une cortine très faible ou même inexistante. On les reconnaît d’habitude au nez, faute d’autre signe, car à peu prés tous dégagent une odeur de rave très déplaisante. Les pholiotes et analogues sont presque toutes lignicoles et sont pourvues d’un véritable anneau. La plupart sont écailleuses, et de là vient leur nom savant, pholis signifiant en grec « écaille », Les pholiotes ont été divisées en plusieurs genres ou sous-genres, et en particulier on a séparé les agrocybes qui sont terrestres. Les Flammules sont voisines des pholiotes, mais de taille généralement plus grêle. Leur anneau est  très faible, et elles n’ont pas d’écailles. On voit que les cortinariées présentent un ensemble de caractères communs et forment une famille très cohérente où toutefois les genres sont assez bien séparés par leurs particularités propres.

Les Strophariacées ont un pied et un chapeau non séparables. Leurs spores sont  brun pourpre, parfois violacées et elles sont lisses. Les Strophaires sont pourvus d’un véritable anneau membraneux, et elles sont visqueuses. Elles sont le plus souvent fimicoles. Tandis que les hypholomes sont lignicoles, et sont dépourvus de voile membraneux. Ils possèdent seulement une cortine plus ou moins fugace.

Restent trois familles qui sont les plus évoluées des agaricales. Voici les coprinacées, dont le pied est séparable. Ce sont des espèces fragiles, et pourvues d’un voile partiel plus ou moins annelé. Les spores sont noires ou noirâtres. Chez les Drosophiles et les Psathyrelles, elles ne sont pas déliquescentes. Ce sont  des espèces qui poussent en touffes souvent sur le vieux bois ou dans l’herbe grasse. Les Panéoles à chapeau campanulé ont des lamelles « nuageuses », car  les spores noires y mûrissent par plages successives, et non toutes ensemble. Les coprins sont caractérisés par leurs lamelles déliquescentes, si bien que leurs spores sont dispersées par les eaux de pluie une fois tombées sur le sol. Les coprins montrent une évolution extrême. Car ils ne sont faits que d’un pied séparable, leur chapeau se limite à un disque minuscule au sommet du pied, et toute leur substance est faite de lamelles, c’est à dire que par une économie parfaite de moyens, le rapport matière – hyménium est le plus favorable possible.

Les agaricacées proprement dites comprennent les lépiotes, pourvues d’un chapeau séparable, des lamelles très nombreuses, larges et minces, et leur architecture est d’une grande ingéniosité. Leur pied est d’une solidité considérable, car il est tubulaire et ses fibres extérieures sont surtendues par rapport aux intérieures. L’anneau est ample est souvent double, et le revêtement du chapeau se lacère rapidement après son déploiement. Les écailles superbes qu’on voit sur le chapeau des lépiotes ne sont que les restes du voile général qui se disperse quand son rôle protecteur est terminé. Les Cystodermes que l’on rattache peut-être sans grande raison aux lépiotes ont chapeau non séparable, un anneau qui provient du voile enveloppant le pied, et on peut aussi bien les rattacher aux  Tricholomacées. Les psalliotes sont analogues aux lépiotes. Elles ont la même texture, en plus charnu, mais leurs spores sont brun pourpre et non blanches comme celles des lépiotes.

 La famille des Amanitacées est aussi à l’extrême pointe de l’évolution des agaricales. Le pied et le chapeau sont séparables, et les carpophores sont enveloppés dans leur juvéniles par un voile plus ou moins membraneux qui persiste soit sous forme de volve soit sous forme d’écailles sur le chapeau. Voici les Volvaires, à spores roses dont la volve persiste à la base du pied, les Plutées qui sont lignicoles et ressemblent à des volvaires sans  volve. Volvaires et plutées ont des spores roses. Si les volvaires sont plus souvent terrestres,  les plutées sont lignicoles, fort nombreux en espèces et pas toujours faciles à identifier.

Viennent enfin les amanites, qui représentent l’aristocratie des agaricales. Elles naissent dans une volve soit membraneuse soit floconneuse, elles possèdent un voile secondaire qui donne un anneau, leur pied est séparable, leurs lamelles sont serrées, larges et portent des spores blanches. La multiplicité de leurs organes permet de distinguer leurs espèces avec une grande facilité. Tout au plus peut –on parfois hésiter devant le sous – genre Amanitopsis qui n’a pas d’anneau apparent, et dont les formes sont si variables qu’on ne sait pas toujours si on est en présence d’une simple variation, d’une espèce ou d’une variété.

Restent deux familles bien étranges. D’abord les Gastérales. Ce sont les « vesses de loup » et analogues. Ces champignons ont la particularité de former leurs spores à l’intérieur même de leur carpophore, qui prend une forme plus ou moins sphérique. A la maturité, l’intérieur de ces carpophores se déshydrate complètement, et les spores sont expulsées sous forme de poussière brune que tout le monde connaît. Ceux qui s’occupent des problèmes de phylogénie, c’est à dire de la science qui consiste à savoir comment les colonies de champignons sont sorties les unes des autres, ont sur les gastérales deux théories complètement opposées. Les  uns prétendent que les agricales sont sorties peu à peu des gastérales, car on trouve entre les deux familles  des formes de transition. Mais les autres affirment que les gastérales sont des formes régressives, et pour ainsi dire des agaricales qui se sont repliées sur elles – mêmes pour faire face à des conditions climatiques trop sévères.

Ils en allèguent pour preuve l’abondance de ces espèces dans les régions steppiques, où les gastérales se seraient adaptées aux vents terribles qui y soufflent constamment. Il semble bien que la seconde hypothèse soit la bonne. Mais on ne peut rien affirmer en ces matières. Ces gastérales comprennent plusieurs genres classés selon la nature de leur revêtement. Les Sclérodermes ont un véritable cuir, les Lycoperdons ont une enveloppe fragile et mince, les géastres ont une double enveloppe, dont l’extérieure se replie sous le carpophore à maturité. Quant aux Cyathes, ce sont ces petits champignons en forme de nid d’oiseau au fond duquel se forment des « œufs » qui ne sont que des lycoperdons miniatures.

Enfin les Phallales comptent parmi les productions les plus étranges de toute la famille des champignons. En apparence, on dirait des gastérales. Mais alors que chez les gastérales l’intérieur du carpophore se décompose purement et simplement en poussière sporale, chez les Phalles, on voit apparaître hors d’une volve gélatineuse, des productions extravagantes. Chez les Clathracées, l’hyménium est porté par une sorte de treillis, ou sur les branches d’une étoile, comme chez les anthurus. Chez les phallus, le pied creux du champignon se détend presque comme un ressort et « singe » un corps caverneux terminé par un chapeau percé d’un trou. Ce chapeau est fait  d’un hyménium déliquescent accroché à des alvéoles dont il se détache peu à peu et à mesure que son odeur repoussante l’a fait dévorer par les mouches à viande. Il existe sous les tropiques d’autres formes de cette famille, et toutes sont aussi étonnantes. On se demande en les voyants à quoi a pu rêver la Nature en les inventant. Mais toutes ces Phalles manifestent un très haut degré d’évolution et une efficacité sporogénique remarquable.

C’est ainsi que toute cette classification nous permet de passer des formes les plus primitives aux plus évoluées, des plus simples aux plus complexes et d’embrasser d’un seul regard un ensemble innombrable, et inextricable dans sa première apparence. Mais il faut être modeste. C’est un bel effort de l’esprit humain d’avoir pu apporter un peu de lumière dans cette foule de formes. Toutefois, si certains points de la classification ont un air de certitude définitive, d’autre sont encore bien discutables. Il arrive souvent  que l’on ne sache pas trop où placer  telle espèce ou tel ensemble. Trop souvent on peut être tenté de créer un genre nouveau pour tel petit ensemble, ou même pour une seule espèce. On trouve toujours des arguments pour justifier ces sortes d’opérations. Mais on ne sait pas du tout quelle réalité recouvre notre logique, qui diffère totalement de celle de la Nature, si elle en a une. Il faut donc accepter toute classification comme une commodité, sans vouloir en faire un dogme digne d’une révérence mystique. Il suffit de voir tous les changements qu’elle a subis pour qu’on doive s’attendre à d’autres changements encore, car c’est  là un édifice en construction  et en remaniements permanents.

5/ Les noms des champignons

Comme tous les autres êtres vivants, on a adopté pour les champignons les règles de nomenclatures édictées au XVII° siècle par Linné. C’est à dire que chaque espèce est désignée d’abord par le nom du genre auquel elle appartient, puis par un adjectif «spécifique» qui, à l’intérieur du genre, limite la dite espèce à un ensemble de caractères qui n’appartiennent qu’à elle. Cette nomenclature nous paraît si évidente et si simple que nous oublions comment on est arrivé là. Avant Linné, on désignait les espèces un peu au hasard, le nom du genre (quand on en était sûr) était souvent suivi de deux ou trois adjectifs descriptifs, qui au lieu de désigner simplement l’espèce en donnaient une brève description. Mais déjà Tournefort vers 1700 recommandait d’être aussi bref que possible, et se moquait d’un botaniste anglais qui pour désigner le houblon utilisait « une phrase si longue qu’on ne pouvait la dire sans reprendre son souffle ».

Le nom du genre d’abord. Au début, quand on ne se doutait pas encore du nombre infini des champignons à lamelles, on a commencé par appeler Agaricus tous les champignons à lamelles. Mais cet ensemble démesuré a été rapidement scindé, et on a créé des genres particuliers. Ainsi Lactarius a désigné très vite tous les agarics qui donnent du lait. Le nom était très bien choisi, expressif, et faisait allusion à une propriété évidente de cette série. A côté fut créé le genre russula, tiré de l’adjectif latin russus, qui signifie roux ou rouge, par allusion à la couleur majoritaire des espèces de ce genre. Les mycologues anciens ont toujours fait un effort pour donner aux noms des genres qu’ils créaient une forme imagée et évocatrice à la fois. Ainsi Cortinarius fait tout de suite penser à la cortine qui caractérise tous les cortinaires. Lepiota évoque les écailles qui ornent un grand nombre de lépiotes.

Quelquefois, un auteur pour nommer un genre utilise le nom d’un ami ou d’un mycologue qui est à l’origine de sa trouvaille. Ainsi Fries a nommé Dueletia mirabilis une espèce extraordinaire et très rare que lui avait communiquée le mycologue franc – comtois Quélet. Et souvent l’adjectif lui-même est remplacé par le génitif d’un nom d’ami ou  de collaborateur. Il y a aussi une russula queletii, et un Cantharellus friesii. Ce sont là des signes de reconnaissance, de sympathie et parfois d’amitié que se témoignent les spécialistes. Parfois la personne que l’on veut honorer a un nom tellement compliqué, que l’on arrive à des dénominations difficilement prononçables, comme : krombholtzia, oudemansiella, Hohenbuehelia, et bien d’autres de même mouture, que l’on ne peut les prononcer sans difficulté.

Les mycologues d’autrefois étaient presque tous en même temps de remarquables humanistes. Ainsi Linné et Fries ont appris le latin avant le suédois qui était leur langue maternelle. Ils savaient le grec, et ce qui explique la facilité avec laquelle ils ont su composer, inventer ou créer des noms d’apparence un peu étrange, mais souvent explicables et expressifs.

Un nom comme Tricholoma signifie « bords poilus », allusion au voile léger qui est présent à la marge de ces champignons. Flammula fait allusion à la couleur  feu de nombre de ces espèces. Volvaria rappelle que les volvaires ont une volve. Pholiota signifie « écailleux », car les pholiotes sont à peu prés toutes pourvues d’écailles sur leur chapeau. Il faut s’habituer le plus vite possible à cette nomenclature, sens en abuser. Jamais vous ne direz que vous avez fait une belle cueillette de Calocybe georgii que vous avez trouvé des mousserons de printemps. Les champignons usuels qui ont un nom quasi officiel dans le langage courant n’ont pas besoin de leur nom latin pour que l’on se fasse comprendre. Mais la plupart des espèces n’ont aucun nom courant, et  si vous trouvez des delicutala quisquiliaris, ou des inocybes calamistrata, il n’y a que le nom latin qui puisse en rendre compte. Comme certains poissons et notamment certains poissons d’aquarium le nom latin est à utiliser car d’une région à une autre c’est le seul qui vous permettra de savoir de quelle espèce vous parlez précisément, c’est le langage universel.

Une particularité : vous verrez que les amanites voisines de varginata font partie d’un sous genre qu’on a appelé Amanitopsis c’est à dire « semblable –amanite », parce qu’il n’a pas d’anneau. De  même Cantharellopsis a été détaché des Cantharellus  et est devenu in « semble chanterelle ».

Il faut savoir aussi que les classes de champignons ont un nom qui se termine par mycètes. Exemples : Ascomycètes, Basidiomycètes, Pyrénomycètes, etc. Les noms de familles se terminent par aceae. Exemples : Pezizaceae, Hydnaceae, etc. Mais les groupes dont dépendent les familles se terminent par ales. Exemples : Tubérales, Bolétales, Agaricales, Phallales, etc.

On hésite souvent quand on transcrit un nom latin en français sur le genre qu’on doit lui accorder. La règle est : quand on cite le nom latin tel quel, on le fait au masculin, quel que soit son genre en latin. On dira donc un AMANITA, un Russula, un Russula, un Tremella. Mais si on francise le nom, on lui donne en français son genre en latin. On dira donc un Mérule, Une Mycène, une Amanite, une Russule, etc. Une exception bizarre : les nombreux genres qui se terminent en cybe sont féminins en latin. Cependant l’usage a prévalu d’en faire des masculins en français, et on dira un clitocybe, un inocybe, un Calocybe, etc. La raison en est sans doute que la terminaison cybe est inexistante en français, et apparaît comme asexuée, si l’on peut dire, et qu’en conséquence le masculin français qui équivaut aussi à un neutre convient mieux à ces formes insolites.

Quand on consulte une Flore, on  peut lire après le nom de l’espèce le nom de son auteur. Par exemple, vous lisez Amanita virosa Fr. Ce Fr. signifie que c’est Fries qui a reconnu le premier et nommé cette espèce. Il en est le père, et comme on dit officiellement le créateur. Mais cette signature peut être plus compliquée : Cystoderma ambrosii  ‘Bres) Singer – Smith. Ces indications signifient que l’espèce a été découverte et nommée Bresadola, mais Bresadola en avait fait une armillaire, et ce sont les deux mycologues américains, Singer et Smith, qui l’ont  affecté du genre Armilaria dans son genre définitif qui est  Cystoderma. Si vous voyez par exemple Inocybe scabella ss Bres. c’est que l’auteur de la Flore, hésitant sur cette espèce dont le nom n’est pas sûr, accepte le sens que lui a donné Bresadola. Si vous lisez  LYOPHYLLUM CARNEUM (Fr. ex Bul.) Kühn Romagn., cette signature signifie que Buliard avait décrit le premier cette espèce dont il avait fait un Agaricus. Mais Fries la lui avait empruntée pour en faire un tricholome, et Kühner et Romagnesi pour de bonnes raisons l’ont affecté à leur tour dans le nouveau genre Lyophyllum, sous genre Calocybe. Ce sont là des chicanes de la nomenclature, qui consistent simplement à rendre à chacun ce qui lui est dû. Mais il ne faut jamais oublier que quand une espèce est suivie de plusieurs noms, c’est au premier que revient le plus grand honneur. C’est le premier qui l’a découverte, et les suivants n’ont fait que l’affecter différemment dans la classification.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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