PHYLLOTAXIE OU DIVERGENCE BOTANIQUE

 

L'angle de divergence est l'angle qui existe entre deux feuilles mises en place successivement : dans 80 % des cas, il est constant et voisin de 137,5°, valeur proche de l'angle d'or (phyllotaxie alterne spiralée la plus commune dans le règne végétal).

 

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Disposition de feuilles suivant l'angle d'or.

La phyllotaxie (du grec ancien : φύλλον / phúllon, « feuille », et τάξις / táxis, « arrangement ») est l’ordre dans lequel sont implantés les feuilles ou les rameaux sur la tige d’une plante, ou, par extension, la disposition des éléments d’un fruit, d’une fleur, d’un bourgeon ou d’un capitule. La phyllotaxie désigne également la science qui étudie ces arrangements.

Il existe plusieurs types de phyllotaxies, qui dépendent du nombre de feuilles par nœud et de l'arrangement de ces feuilles le long de la tige :

  • Une feuille par nœud : la disposition est dite « alterne ».
    • Quand ces feuilles, le long de la tige, sont sur un plan, on appelle cela une phyllotaxie « alterne distique ».
    • Quand ces feuilles, le long de la tige, sont disposées tout autour de la tige, on appelle cela une phyllotaxie « alterne spiralée ».
  • Deux feuilles par nœud : la disposition est dite « opposée ».
    • Quand ces feuilles, le long de la tige, sont sur un plan, on appelle cela une phyllotaxie « opposée ».
    • Quand ces feuilles, le long de la tige, sont disposées de façon perpendiculaire d'un nœud à l'autre, on appelle cela une phyllotaxie « opposée décussée ».
  • Plus de deux feuilles par nœud ;
    • La disposition est dite « verticillée ». Elle est forcément disposée sur plusieurs plans.

La phyllotaxie a longtemps été interprétée comme une sélection des plantes afin d'assurer à toutes les feuilles la réception d'un maximum de lumière. Les études ultérieures ont conduit à des théories mécaniques (phyllotaxie liée à un problème d'encombrement spatial) et physiologiques (phyllotaxie liée à des actions inhibitrices émanant des primordiums foliaires et de l'extrémité du point végétatif). Une théorie mixte, très souple, élaborée par M. et R. Snow et connue sous le nom de théorie du premier espace disponible, considère que l'action d'un facteur mécanique (l'espace disponible) est modulée par les inhibitions.

 

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Principaux types de disposition : 1 = opposée, 2 = alterne, 3 = verticillée.

La phyllotaxie : l'étude de la disposition des feuilles sur la tige

La feuille : nature et origine évolutive

La feuille est un organe photosynthétique le plus souvent composé d’une surface plane (lame ou limbe) portée par un pétiole. Elle est parcourue de vaisseaux cribro-vasculaires.

La feuille « vraie » n’est présente que chez les végétaux supérieurs dits trachéophytes, sous des formes diverses et plus ou moins dégénérées. On retrouve des organes analogues dans le reste de la lignée verte (microphylle de Physcomitrella patens par exemple) ou même chez les algues rouges par exemple, dont l’exemple le plus frappant est celui de l’algue rouge Desseleria.

Dans le cas de la lignée verte, les feuilles (s.l.) sont apparues de manière indépendante six fois au moins au cours de l’évolution (mousseslycopodesfougères, sphenopisdés, et angiospermes). Même si l’on ne sait toujours pas si les rouages génétiques mis en jeu sont similaires, il est établi qu’elles partagent au moins une trajectoire évolutive semblable : dans chaque cas, on a assisté au passage d’un système de ramification latérale à croissance indéterminée, à des structures complètement déterminées. Si les bases moléculaires de cette évolution restent à déterminer, il est par exemple notable qu’un gène, ASYMETRIC LEAVES 1 (ASI chez Arabidopsis, homologue de PHANTASTICA, PHAN, chez le muflier), semble avoir eu un rôle crucial dans l’apparition de la feuille vraie chez les dicotylédones (AS1 a une activité inhibitrice sur l’expression de KNOX, alors que les gènes de la famille KNOX sont impliqués dans le maintien d’une croissance indéterminée au niveau du méristème)2. Il reste à comprendre comment sont apparues les feuilles chez les mousses, lycopodes, etc. mais nous pouvons d’ores et déjà avancer que nous sommes en présence d’un exemple d’évolution parallèle particulièrement captivant.

La feuille est attachée à la tige par le biais du pétiole, au niveau de ce que l’on appelle un point d'insertion. Au point d’insertion, il y a jonction entre les faisceaux cribro-vasculaires de la feuille et ceux de la tige, selon des motifs propres à chaque espèce. À l’aisselle de la feuille on trouve généralement un bourgeon secondaire, point d’origine potentiel d’une ramification latérale.

Les feuilles : arrangements et modes phyllotaxiques

L’observation des feuilles et de la disposition sur la tige (sous forme de séries de points d’insertion) rend compte d’une géométrie qui n’était pas forcément évidente à première vue.

Une représentation usuelle et pratique consiste à identifier la tige à un cylindre ou un cône, et d’indiquer les points d’insertion à sa surface, en les numérotant selon l’ordre d’apparition des feuilles correspondantes. Un mode de coordonnées polaires permet de formaliser cette représentation. Selon les cas, on adoptera une représentation en vue de dessus (pour le cône), ou sous la forme d’un ruban déroulé (pour le cylindre). Cette transformation permet d’obtenir une représentation en deux dimensions, qui rend le dessin et son interprétation plus aisés. Introduite par les frères Bravais, la représentation cylindrique servira de base pour d’importants travaux réalisés en cristallographie et sur la théorie des treillis cylindriques.

On distingue trois grands modes phyllotaxiques, en fonction des agencements observés :

  • spiralé, défini par la présence d’une seule feuille par nœud,
  • opposé, où deux feuilles se font face sur un même nœud,
  • verticillé, caractérisé par l’insertion de trois ou plus feuilles sur un même nœud.

Dans le cas spiralé, il a depuis longtemps été reconnu que les feuilles forment un motif spiralé qui remonte sur la tige dans l’ordre des âges décroissants. L’angle de divergence est l’angle qui existe entre deux feuilles mises en place successivement :

  • dans 80 % des cas, il est constant et voisin de 137,5°, valeur proche de l'angle d'or (phyllotaxie alterne spiralée la plus commune dans le règne végétal). La spirale ainsi décrite est dite générative, et l’on parle de parastiches pour désigner les motifs spiralés secondaires (plus verticaux) qui apparaissent par le rapprochement spatial de feuilles non directement successives. Le nombre des parastiches (dextres et senestres) est utilisé pour caractériser les différents motifs phyllotaxiques. Une observation remarquable, que l’on doit à Alexander Braun en 1831, établit le lien qui existe entre le nombre de parastiches et la suite de Fibonacci. En effet, dans l’extrême majorité des cas, les nombres de parastiches que l’on retrouve chez une plante, dans un sens et dans l’autre, sont deux termes consécutifs de la suite de Fibonacci. Nous laisserons à d’autres les spéculations ésotériques sur ce thème, très souvent inspirées par le fait que la limite infinie de la suite de Fibonacci (dans le cas général (1;1)) est j, le nombre d’or… Une remarque à ce sujet sera faite dans la partie Considérations évolutives ci-dessous ;
  • l'angle de divergence peut aussi être constant avec une valeur différente de la précédente, généralement 90° ou 180° ;
  • il peut aussi former une suite périodique de période supérieure à un. Chez au moins quatre espèces de plantes non apparentées, dont Orixa japonica, il vaut successivement 180°, 90°, 180°, 270° puis de nouveau 180°, 90°, etc..

Dans le cas opposé ou verticillé, on assiste entre chaque nœud à une rotation des axes des feuilles, qui vaut la moitié de l’angle entre deux feuilles insérées sur le même axe (par exemple : 90° dans le cas d’un système opposé, 60° dans le cas de verticilles de trois feuilles).

Le plastochrone est la période qui sépare l’initiation de deux feuilles successives.

Les théories de la phyllotaxie

Approche historique et modèles phénoménologiques

Aperçu historique de l’étude de la phyllotaxie

L’histoire des observations et de la compréhension de la phyllotaxie est indicative sur l’évolution des paradigmes culturels constituant le contexte de pensée des différentes époques considérées. Si les premières observations des motifs formés par les organes semblent remonter aux Égyptiens de l’Antiquité, trois grandes phases apparaissent dans l’étude « moderne », la caractérisation et la compréhension des types phyllotaxiques.

Les XVe et XVIe siècles ont été marqués par la découverte des motifs phyllotaxiques et leurs liens à la suite de Fibonacci.

Du XVIe au début du XXe  siècle, une caractérisation exhaustive des modes phyllotaxiques a été entreprise, et les premiers modèles interprétatifs ont été proposés, s’appuyant en particulier sur des modélisations géométriques et la notion d’espace disponible sur le méristème.

La fin du XXe siècle a été la plus active, en ce qui concerne les avancées de la compréhension des mécanismes, tant sur le plan mathématique que biologique avec notamment les découvertes de certains gènes organisateurs du méristème liés à l’établissement des feuilles.

Des premières observations aux premières surprises

Si l’on trouve parmi les pionniers de l’étude de la phyllotaxie des personnages célèbres comme AristotePline l’AncienLéonard de Vinci ou Johannes Kepler, qui ont contribué aux premières réflexions sur le sujet, en marge de leurs œuvres majeures respectives, les premières observations systématiques ont débuté avec Charles Bonnet (1754) qui introduit les notions de spirale génératrice et de parastiches, et commence à caractériser les différents types phyllotaxiques en en décrivant quatre principaux types (décrits précédemment par Sauvages) : opposé, verticillé de trois feuilles ou plus, alterne, et sans arrangement constant et en en mentionnant un nouveau, le mode spiralé. Cette classification est utilisée par Carl von Linné en 1751. Ces observations sont reprises moins d’un siècle plus tard par Karl Friedrich Schimper (1830) qui introduit le concept d’angle de divergence et achève de décrire les parastiches.

À partir de ce point, la première moitié du XIXe siècle se montre riche en propositions et avancées : Alexander Braun, en 1831, est le premier à établir le lien entre le nombre de parastiches et la suite de Fibonacci. Dans un article commun publié en 1837, les frères Louis et Auguste Bravais proposent la première représentation géométrique formelle de la disposition des feuilles sur une tige — au moyen d’un réseau de points (treillis) sur un cylindre — et présentent leurs travaux visant à caractériser les propriétés de cette classe d’objets mathématiques, notamment sur le lien entre angle de divergence et nombre de génératrices et parastiches.

Vers une explication du phénomène des spirales phyllotaxiques : construction d’un cadre théorique

S’enclenche un processus de théorisation du problème de la phyllotaxie : l’enjeu est de proposer le mécanisme qui explique la disposition des organes sur la tige. En 1868Wilhelm Hofmeister (1824-1877), dans son Handbuch der Physiologischen Botanik, propose la première règle simple qui rendrait compte a priori de cette disposition :

« Le primordium apparaît périodiquement dans le plus grand espace disponible. »

En 1875Julius von Wiesner (1838-1916) reprend les arguments téléologiques développés précédemment par De Vinci et Charles Bonnet (1720-1793), et les transpose sous le regard de la théorie de l’évolution de Darwin, en émettant l’hypothèse que la phyllotaxie optimise l’interception de la lumière et que la disposition spiralée est celle qui autorise le minimum d’ombrage d’une feuille vis-à-vis des autres (auto-ombrage). En 1878, Simon Schwendener propose un modèle où la disposition des feuilles serait orientée par les pressions de contact entre les primordium. Malgré une erreur de raisonnement, il prédit avec beaucoup de précision de nombreux profils phyllotaxiques et relève le premier les questions de transitions entre les différents profils : (1,2) à (3,2) à (3,5)… au cours du développement de la plante. Airy présente en 1873 une variation de la règle de Hofmeister, considérant que les arrangements phyllotaxiques sont une optimisation de la réduction de place occupée et propose un principe d’« économie d’espace ». Le mode spiralé serait ainsi le mode de paquetage qui occuperait le plus petit volume possible.

Ces trois contributions ont un impact important au sein de la communauté et vont amener à un changement radical dans la manière de percevoir la question de la phyllotaxie : c’est à l’apex et au méristème, là où les primordia sont générés et organisés, et non plus à la tige édifiée (reflet figé d’une dynamique qui lui est antérieure), qu’il faut s’intéresser si l’on veut comprendre les origines des dispositions observées.

Après une période de troubles et d’indécision, à la suite de la controverse lancée par le mathématicien Julius Sachs en 1882 qui arguait que l’idée des spirales phyllotaxiques se résume à un orgueilleux jeu mathématique, purement subjectif et non informatif sur la nature même de l’objet biologique considéré, une représentation polaire des primordia sur le méristème est proposée par Church en 1904, persuadé que le mystère de la phyllotaxie trouvera sa solution par l’étude de l’extrémité croissante de la tige. Délaissant le concept de spirale génératrice, il émet l’hypothèse que les parastiches représentent des lignes de forces qui contraignent la surface du méristème par un jeu de tensions. Des ondulations de différentes longueurs d’onde seraient alors générées qui organiseraient les motifs phyllotaxiques.

En 1907Van Iterson étudie de manière systématique les différents agencements possibles de disques sur un cylindre (en faisant varier l’angle de divergence et le diamètre des disques) et caractérise les différents motifs obtenus par le nombre de parastiches dextres et senestres.  Il construit ainsi un diagramme de phase qui décrit l’univers des hélices en fonction des deux paramètres choisis. Ces travaux d’une portée singulière, n’ont pas été reconnus tout de suite et il a fallu attendre près de 70 ans avant de les redécouvrir.

De manière contemporaine à Van Iterson, Schoute reprend les travaux de Schwendener de manière critique et constructive : ainsi, s’il pense que c’est bien de cette manière qu’il faut considérer la question de la phyllotaxie (en la replaçant dans un contexte de croissance et en s’intéressant aux transitions entre différents modes), le mécanisme directement impliqué dans l’initiation et l’organisation des primordia est laissé en suspens. Schoute envisage alors l’existence d’un inhibiteur produit par chaque primordium qui empêche le développement d’un nouveau primordium à proximité. Le profil de concentration de l’inhibiteur au sein du méristème va alors déterminer le site d’apparition des nouveaux primordia. Schoute pressent alors ce qui sera développé par Alan Turing en 1952, avec sa théorie des morphogènes, dont l’un des exemples donné pour illustrer son travail est celui d’un anneau de cellules, dans lequel il obtient des profils d’onde stationnaire qui pourrait rappeler la disposition des tentacules de l'hydre aquatique ou de feuilles en verticilles.

L’expérimentation et la phyllotaxie

1932 est également une année intéressante pour la compréhension de la phyllotaxie, avec la parution des travaux des époux Snow. Utilisant des techniques de micro-ablation, ils ont été capables de montrer que le site d’initiation d’une nouvelle feuille est influencé par la position des primordia les plus récemment mis en place. Wardlaw poursuit leurs travaux en s’intéressant à la fougère Dryopteris. Mais les conclusions divergent : là où Wardlaw imagine un mécanisme reposant sur la production d’un inhibiteur par les primordia existant qui empêche l’initiation d’un nouveau primordium à proximité, les Snow proposent que les primordia ne se développent que dans le premier espace suffisant et suffisamment éloigné du sommet du méristème. À leur suite, des travaux de manipulation des motifs phyllotaxiques ont été menés que cela soit par ablation ou avec l’utilisation de différents produits chimiques, notamment Meicenheimer (1981 et 1982) avec son travail sur Epilobium.

Modèles contemporains

Un certain nombre de travaux ont marqué la deuxième moitié du XXe siècle et ont permis des percées significatives dans la compréhension des mécanismes de la phyllotaxie. Nous nous contenterons ici de les rappeler, pour l’unité de cet aperçu historique, étant entendu qu’une présentation et une analyse de l’état actuel des connaissances sur la phyllotaxie sera proposée dans la section suivante…

On distingue trois grands champs d’investigation :

  • Au niveau phénoménologique, les travaux de Adler, Jean et Barabe d’une part, et de Douady et Couder d’autre part, ont permis une compréhension satisfaisante de l’organisation des primordia au niveau du méristème, en s’appuyant sur des considérations physiques. L’idée est grossièrement celle d’une minimisation d’énergie d’interaction entre les différents primordia. Douady et Couder ont notamment reproduit avec une stupéfiante précision l’ensemble des motifs phyllotaxiques, tant par modélisation numérique qu’analogique (grâce à un montage expérimental utilisant des gouttes de Ferro-fluides dans un champ magnétique).
  • Sous l’impulsion de Green, des progrès notables ont été faits en ce qui concerne la compréhension du comportement physique du méristème et de sa surface (plissements, torsions, etc.). Coen, Fleming et Dumais mènent des recherches sur des thématiques proches, par l’analyse des dynamiques de divisions cellulaires et d’initiation d’organes, au niveau de l’apex.
  • Les avancées en biologie moléculaire ont permis la découverte et la caractérisation à un rythme toujours croissant de nombreux gènes impliqués dans le fonctionnement du méristème. Nous pouvons à ce titre mentionner les travaux de Hake sur les gènes à Homéoboîte de la famille KNOX qui ont été précurseurs dans ce domaine. La démocratisation de techniques à haut-débit devrait également permettre d’accéder à la quantité de données nécessaire à la dissection des réseaux de régulation intervenant dans la morphogenèse méristématique. Grâce par exemple aux travaux de Reinhardt, Kuhlemeier, et Traas, un lien avec les hormones végétales a pu être établi. L’auxine occupe notamment le devant de la scène, avec la caractérisation récente de mutants pour des transporteurs d’auxine présentant une absence de feuille, mais on entrevoit d’ores et déjà des rôles pour d’autres effecteurs hormonaux, par exemple les Cytokinines, depuis la caractérisation du mutant Abnormal Phyllotaxis par Jackson (AbPhy codant un élément de réponse à la cytokinine). En parallèle, des études sur l’évolution des mécanismes développementaux sont menées, notamment sous l’égide de Cronk, Hasebe, et Paquet (ceci est aujourd’hui rendu possible par un accès de plus en plus étendu et fiable aux données de la génomique et à l’élargissement du spectre des organismes étudiées – génomes séquencés, banques d’EST, études d’organismes satellites…).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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